– La taille compte-t-elle toujours ? une autre vision de la relation PME-grand groupe (1)

Si le rapport de la PME et du grand groupe s’envisage principalement sous l’angle du rapport de taille – le grand vs. le petit – une étude plus poussée du sujet amène au premier plan une relation plus influencée par les questions de stratégie des entreprises que de taille de celles-ci.

Envisager le rapport PME-grand groupe sous l’angle de la place du partenaire dans la stratégie de chacun s’appuie sur des travaux de recherche en gestion portant sur les questions de dépendance entre entreprises d’une même chaîne de valeur (Anderson & Narus 1984; Anderson & Narus 1990; Dwyer et al. 1987).

Je vois 3 principales raisons qui font que la question de la taille d’entreprises en affaires apparaît systématiquement sur le devant de la scène lorsqu’il s’agit d’évoquer la relation PME-grand groupe :

  1. Lorsque l’on pose la question de la PME/grand groupe, on pose la question de la relation de 2 entités dont la définition même repose sur la différence de taille (Décret n° 2008-1354 2008), à savoir l’effectif et le chiffre d’affaires des entreprises.
  2. Cette différence de taille est une des raisons de la collaboration : d’une part l’entreprise de plus grande taille se tourne vers la plus petite pour pouvoir profiter de sa flexibilité et de sa réactivité (Schumpeter 1942). D’autre part, l’entreprise de plus petite taille se tourne vers la plus grande pour sa capacité à mobiliser des ressources plus importantes (Doz 1987).
  3. Elle est également la manifestation d’une différence de ressources qui sont sources de peurs de la part de chacun : la PME craint de se faire absorber ou dépasser par le grand groupe qui en retour craint la fragilité (réelle ou supposée) de la PME, sa potentielle incapacité à répondre à ses besoins et le risque légal qu’il a se retrouver juridiquement gestionnaire de fait en cas de défaillance de celle-ci.

Ce troisième point est celui qui revient le plus souvent lorsqu’il s’agit d’évoquer les relations PME-grand groupe. Il est loin d’être négligeable au moment de prendre les décisions de nouer une relation ou lorsqu’il s’agit de lui faire prendre un nouveau tournant : ces peurs, qui peuvent se retrouver dans la « gestion du risque », sont alors ce qui fait qu’une relation se noue ou pas. Mais au cas où la relation se noue – la relation d’affaires est active entre la PME et le grand groupe – c’est alors que la question de l’asymétrie de taille s’efface devant celle de l’importance stratégique de l’un pour l’autre : l’asymétrie d’interdépendance entre les entreprises partenaires.

Travailler sur le rapport grand groupe-PME

Challenges (numéro du 14/6/2012) fait sa une sur ces « PME qu’on assassine » ; Le Monde propose un article sur « les grands groupes (qui) traitent encore trop souvent les PME comme des « paillassons ». Quelle est la part de parti-pris, quelle est la part des vérités des uns et des autres ?

Après avoir multiplié les rencontres auprès de responsables achats de grands groupes – certains sont félicités, d’autre mis à l’index dans les articles ci-dessus – je confirme l’intérêt qu’il y a à porter sur la relation grand groupe-PME un regard scientifique. Non pas qu’il faille remettre en cause le travail de la médiation des relations interentreprises ni même celui du Pacte PME mais plutôt qu’il faille également envisager la problématique en terrain neutre.

La démarche scientifique permet de s’affranchir, autant que faire se peut, du biais induit par le point de vue naturellement en faveur de l’un ou de l’autre des partis. Et, dans le cadre des relations PME-grands groupes,  le sujet est tellement sensible que jusqu’à présent il n’y a pas eu de solutions proposées : soit il y a stigmatisation de l’un ou l’autre, soit il y a la mise en avant de success stories. Il est difficile de sortir d’une vision « le grand méchant groupe » ou « la PME facteur de risques ».

En envisageant la relation PME-grand groupe sous l’angle de l’asymétrie, je propose d’effectuer un glissement dans la perception de la relation.

Si la composante la plus flagrante de l’asymétrie est la différence de taille, elle s’accompagne aussi de la relation de dépendance et de pouvoir qui se joue entre 2 entreprises qui collaborent. Ainsi, en fonction de l’importance relative des intérêts de l’un et de l’autre à collaborer et de la rareté, ou non, des ressources qu’elle propose, l’asymétrie peut s’équilibrer voire même basculer : une PME détentrice d’un savoir-faire exclusif sur un marché stratégique pour un grand groupe et qui a par ailleurs des revenus réguliers peut prendre le pas sur ce grand groupe (et ses concurrents).

En prenant également en compte le point de vue de chacun des acteurs de la collaboration et en s’assurant constamment du caractère non engagé de la recherche, on peut aborder la problématique sous un angle neuf : la question n’est plus de savoir qui a tort ou qui a raison. Il s’agit alors de comprendre comment se réalise la collaboration et pourquoi chacun agit comme il agit. C’est cette prise de recul et cette neutralité qui permet de trouver les clefs de la réussite du rapport grand groupe-PME.

Le seul parti-pris : la collaboration est source de performance durable pour ceux qui s’y engagent avec les bons dispositifs !

– La confiance, levier d’amélioration de la compétitivité

Les résultats d’une expérience réalisée par l’Institut de Management International Agro-alimentaire (à laquelle j’ai collaboré au millénaire dernier) montrent l’impact de la confiance sur l’intention d’achat.

En passant en revue et en testant les indices qui permettent de faire croître le niveau de la confiance, les chercheurs de l’IMIA ont montré comment doubler le niveau de confiance sur un produit distribué en grande surface à l’aide de différentes allégations.

Ils ont églament (re)démontré l’impact positif du niveau de confiance sur l’intention d’achat ainsi que sa capacité à compenser une hausse de prix : en augmentant le niveau de confiance, il est possible d’augmenter le niveau de prix en conservant le même niveau d’intention d’achat.

Cette étude a eu lieu en BtoC et s’approche d’autres travaux menés en BtoB sur la performance de la confiance, notamment ceux d’Akbar Zaheer il y a une dizaine d’années. L’intérêt de cette étude présentée par Olivier Fourcadet est qu’elle permet des tests sur la sensibilité de la confiance et du prix d’achat : en augmentant la confiance par des « preuves d’allégation santé », on peut réussir à augmenter un prix de 60% (sur un montant peu important) et conserver son client.

En transposant au monde industriel ces résultats on peut trouver des sources de compétitivité dans les relations inter-entreprises.La question est de trouver quelles seraient les « preuves » nécessaires en BtoB pour renforcer le niveau de confiance…

Quelle est la mécanique de la réputation ? Par quels dispositifs agit-elle ?   Ce cinquième billet sur la réputation est la suite de quatre précédents publiés il y a quelques jours sur ce blog (billet 1 […]

Credits: Father & Son by …Vincent…

– Le coût de l’infidélité, facteur de stabilité

Soit un grand groupe et une PME. La PME approvisionne le grand groupe en sous-système après avoir construit un élément clef (son coeur de métier) de ce sous-système, avoir réalisé l’assemblage puis l’avoir testé.Il y a 10 ans le grand groupe a accompagné la PME pour passer de constructeur de pièce à constructeur et assembleur de sous-système, devenant ainsi un de ses fournisseurs de rang 1, catégorie « stratégique » sur sa famille d’achat.

Depuis la relation est continue et fait même figure de meilleure pratique des relations PME-grand groupe.

Or, la relation est constamment remise en cause. Il n’y a pas d’engagement réciproque sur la durée. Le grand groupe, au su de la PME, réalise un double sourcing, de bien moindre importance mais actif. Tous les 12 à 18 mois, la relation est remise sur la balance et l’opportunité d’aller voir ailleurs est évaluée par le grand groupe.

Malgré cela, la PME se déclare « heureuse » de cette relation qui lui permet de stabiliser son chiffre d’affaires. Certes l’évaluation est assortie d’un plan de progrès suivi qui permet l’amélioration continue de ses processus et outils. Néanmoins, la décision finale de poursuivre la relation se fait sur des critères économiques.

Et, année après année, le grand groupe dit « oui » à la PME.

Cette continuité est le fruit d’une part de la capacité de la PME à répondre aux besoins de son client et d’autre part du système d’évaluation mis en place dans le grand groupe. 

En étudiant ce système d’évaluation, on s’aperçoit de la maturité  de l’approche de la direction des achats qui ne se contente pas d’estimer le coût total de son fournisseur et de son concurrent.  Parmi les critères économiques employés, figure également l’évaluation du « sunk  cost » de son fournisseur stratégique soit le calcul de ce que coûterait la perte de celui-ci.

                              créer des liens

Aussi plus la qualité de la relation est élevée, plus les liens sont fluides et étroits, entre la PME et le grand groupe, plus ce « sunk cost »est élevé donc plus le risque d’opportunisme du grand groupe s’éloigne.

L’évaluation du coût de l’infidélité se révèle un garant de la fidélité du grand groupe, si tant est que la PME le demeure aussi!

Pour autant, la relation long terme qu’elle implique amène-t-elle pour autant le développement de la confiance et de l’engagement entre les 2 entreprises ?

L’innovation doit-elle être une affaire d’État ?

Si le rôle de l’Etat est de favoriser les réussites dans et pour son territoire à travers la mise en place de dispositifs favorisant, notamment, l’innovation dans « ses » entreprises, Aurélie Barbaux, la journaliste Innovation de l’Usine Nouvelle, revient à la source en mettant en avant l’importance de l’enseignement de l’aptitude à innover.

Elle en profite également pour réaliser une piqure de rappel sur la capacité de l’état, à travers la commande publique, à participer à l’incubation des innovations produites par les PME françaises.

En citant le rapport « L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques » des députés Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, elle met en valeur ces 2 points qui lui paraissent les 2 leviers actionnables à promouvoir pour réussir l’innovation en France. Par contre, sur le second point, si elle souligne la nécessité d’ajouter un critère « mieux-disant innovant » aux marchés publics, le levier sur les critères concernant « le délai de livraison ou d’exécution » n’est pas relevé (comme dans le rapport) alors qu’il permet également de favoriser les coopérations entre entreprises offrant la meilleure réactivité/proximité.

le numérique et même l’environnement… On ne peut pas dire que ces sujets transversaux aient défrayé la chronique durant les débats de la présidentielle. Pourtant, la troisième révolution indust […]

– Le XXIème siècle sera Open Innovation ou ne sera pas

Qui aujourd’hui ne s’accorde pas sur l’importance croissante de la part de la R&D des entreprises se déroulant hors les murs ?

Du côté de la recherche en sciences de gestion, les chercheurs sont dans le mouvement et s’intéressent de plus en plus à ce thème (Dahlander et Gann, 2010).

Protéiforme et existant depuis toujours, l’externalisation de l’innovation a été désignée par plusieurs appellations :

Néanmoins, ce phénomène a connu une cristallisation sous ce dernier nom d’open innovation, quand il a été désigné et a reçu une première description par Chesbrough dans son ouvrage Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology (2003).

Si cette appellation rassemble un ensemble de pratiques nouvelles et de concepts existants – tout en ne pouvant jusqu’à présent pas encore prétendre au statut de théorie/paradigme scientifique. – c’est celle qui est la plus reprise à la fois par les entreprises et les scientifiques.

Le terme « open innovation » tel que décrit par Chesbrough sert aujourd’hui majoritairement de base de référence pour la majeure partie des études qui viennent l’amender, la préciser, l’enrichir et proposer de nouvelles pistes et perspectives de recherche…

Trois travaux peuvent être considérés comme les références centrales de l’état de l’art :

 

Du côté des entreprises, l’externalisation de l’innovation a commencé un âge d’or depuis une quinzaine d’années.

Cette croisssance de ce qu’on appelle donc désormais « open innovation », s’explique par la rencontre de phénomènes économiques et sociaux concomitants au début de ce nouveau siècle :

  • la globalisation offrant de nouveaux marchés,
  • l’émergence économique de nouvelles zones géographiques accompagnée par l’apparition de nouveaux centres de recherche d’excellence,
  • le développement d’outils de communication permettant de s’affranchir des distances géographiques,
  • la naissance de nouveaux marchés fondés sur la valorisation des savoirs,
  • le plafonnement des modèles d’innovation des entreprises 30 Glorieuses,
  • la pression des marchés pour toujours plus et plus vite de produits et services nouveaux…

Le protectionnisme, une opportunité pour les acheteurs ?

A l’occasion des premières assises des services Achats, on m’a demandé d’intervenir sur le rôle des achats dans la politique de croissance des PME françaises. Je vous livre ici les prémices de ma réflexion.

La question du rôle des achats dans la politique de croissance des PME française se décompose en deux problématiques : d’une part, le rôle des entreprises clientes des PME dans la politique de croissance des PME française, et d’autre part le rôle des achats et de l’acheteur dans l’entreprise.

La place des entreprises – et plus particulièrement des grandes entreprises françaises – dans la politique de croissance des PME françaises est une question politique particulièrement d’actualité.

En pleine campagne présidentielle couplée à une crise économique bien présente, c’est la question de la (ré)industrialisation du tissu économique français qui est en jeu. Aussi, elle est abordée par l’ensemble des candidats à la présidence de la République : elle se retrouve dans les 4 premiers engagements du programme de François Hollande, dans le projet 2012 de l’UMP, dans les propositions « contre le surendettement, tout pour l’emploi » de François Bayrou…. Si la majeure partie des promesses de campagne reposent sur des incitatifs favorisant le développement des PME, certaines proposent également des dispositifs contraignants.

La dynamique tendant à renforcer les liens entre PME et grands groupes est lancée. A l’échelle de la France comme de l’Europe, les dispositifs en faveur de projets collaboratifs entre PME et grands groupes se multiplient. Après une phase où ces dispositifs sont non contraignants (promotion de la responsabilité sociétale des entreprises) voire incitatifs (développement des clusters, Programmes européens Cadres de Recherche et Développement Technologique), le temps se rapproche où les collaborations et l’achat aux PME locales devront être la règle. Les économistes influençant les programmes de tout bord annoncent ainsi la prochaine « remise à l’endroit du système productif » (Jean-Louis Levet et Christian Saint-Etienne devant le Comité Richelieu, le 5 mars 2012). Et, celle-ci passera par la mise en place de mesures contraignantes en faveur du développement d’un tissu de PME innovantes, au niveau de l’Europe comme à celui de la France. Aussi, les entreprises basées en France vont devoir jouer un rôle dans la politique de croissances des PME françaises, de gré ou de force, et ce rôle se jouera en premier lieu à travers leurs achats.

Point de contact principal avec les PME, les services Achats vont hériter en premier chef de ce rôle. En charge de la sélection des fournisseurs, ils les évaluent principalement sur des critères de réduction des coûts et de maîtrise des risques, toujours plus importants en temps de crise. Si ces grilles d’évaluation permettent parfois de relocaliser des fournisseurs (tout particulièrement à travers l’évaluation des coûts complets…), elles ne sont pas toujours favorables aux PME françaises. Par ailleurs, les acheteurs sont eux-mêmes évalués sur leur capacité à appliquer ces grilles. Aussi, pour garantir l’application d’une mesure favorisant l’achat auprès de PME locales, il s’avère nécessaire de refondre les systèmes d’évaluation de l’ensemble de la fonction Achats. Or, cette décision n’appartient pas aux acheteurs mais bien aux dirigeants et actionnaires des entreprises-clientes.

Aussi, devant cette dynamique de fond qui peut s’accélérer dès le prochain printemps, seuls les dirigeants des entreprises françaises peuvent décider s’ils souhaitent la subir ou bien l’anticiper en réinventant les Achats. Alors, le nouveau rôle des Achats, au service de leur entreprise ainsi que de leur écosystème, pourra consister en une revalorisation de l’acheteur acteur non seulement de l’évaluation des coûts complets mais également de la maximisation de la valeur complète créée.

– Pourquoi les entreprises sont obligées de se faire confiance quand elles nouent des partenariats d’innovation

Premier post sur ce qui est à l’origine de mes travaux de recherche : la place de la confiance dans les partenariats d’innovation, avec une base de réflexion issue de l’ouvrage de Marc Frechet « Prévenir les conflits dans les partenariats d’innovation ».

Dans tout projet d’innovation, il y a une part d’incertitude, d’autant plus grande que le degré d’innovation visée est élevé. Cette incertitude touche à la fois les résultats et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Et, quand ces projets sont menés à plusieurs dans le cadre de partenariat d’innovation, si les risques sont partagés, l’incertitude se retrouve souvent augmentée.

Au grand dam des juristes, ces types de projet ne peuvent alors jamais faire l’objet de contrats complets : « le contrat incomplet est celui dans lequel les parties pourraient ajouter des clauses supplémentaires mais sont retenues de le faire, à cause des coûts supplémentaires ou de l’invérifiabilité » (Hart, 1986 d’après Frechet, 2004).

Quand bien même la loi oblige les co-innovants à un engagement mutuel au-delà des termes du contrat de partenariat (article 1134 du code civil : les conventions ( …) doivent être exécutées de bonne foi ; et article 1135 du code civil : les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature), cela ne suffit pas toujours à rassurer les uns et les autres quant à la bonne exécution de ces obligations.

Et lorsqu’entre deux partenaires les différences sont marquées (en termes de taille tout particulièrement) et qu’ils sont dépendants les uns des autres, il y a un risque accru de manquement à ces obligations. Ainsi, la situation de dépendance a tendance à provoquer des comportements agressifs et opportunistes de la part du partenaire en situation de faiblesse (Provan et Skinner, 1989 ; Kumar et van Dissel, 1996 ). A l’opposé, le partenaire le plus puissant (souvent financièrement) a tendance à abuser de sa position dominante quand il s’agit d’influer sur les décisions concernant le partenariat (Lusch et Brown, 1996 ; Sulej, Stewart et Keogh 2001 ; Rothaermel et Deed 2004 ).

Aussi, quand il n’est possible de contrôler ni par le contrat ni par la loi ce que va faire (ou ne pas faire) le partenaire d’innovation,  et quand sa différence – qui fait son attrait – tend à rendre instable le partenariat, seule reste la confiance qui est mise en ce partenaire. Cette confiance, déjà vitale pour toute relation d’affaires (Morgan et Hunt 1994), l’est encore plus lorsqu’il s’agit de réussir un partenariat d’innovation et qu’il concerne un grand groupe et une PME…