Partager le gâteau de l’Open Innovation


Dans un projet d’Open Innovation, au moment de définir les règles de partage du gâteau de l’innovation collaborative, le point d’achoppement le plus courant est celui de la propriété intellectuelle. Un grand nombre de potentielles collaborations ne démarre pas pour ne pas avoir su répondre à cette question de la propriété intellectuelle. Souvent d’ailleurs pour avoir été traitée sous un angle purement juridique.

La plupart des travaux de recherche en gestion comme les rapports de consultants s’intéressent à cette répartition mais ils s’arrêtent au partage de la propriété industrielle, des brevets et droits afférents. Aussi, ils sont rarement opérant au jour de négocier un contrat de co-innovation.

En abordant la question du partage du gâteau sous un angle « Achats », il est possible de trouver des solutions. L’angle « Achats » peut être résumé à une orientation vers la partie « business » de l’Open Innovation. Il permet d’opérer un glissement depuis une réflexion centrée sur l’innovation en soit vers une réflexion orienté vers la création puis le partage de la valeur générée en commun, plutôt qu’uniquement de la propriété intellectuelle. Les Achats permettent d’aller au-delà des bornes du projet d’innovation.

Il ne s’agit alors pas uniquement de partager les résultats obtenus ensemble mais aussi de rémunérer les efforts du fournisseur, de s’assurer sa coopération, voire le responsabiliser sur la mise en œuvre de l’innovation, tout en limitant les dépenses du client. Dans un premier temps, l’acheteur va regarder comment il s’assure de la bonne coopération du fournisseur : est-il en capacité de coopérer ? veut-il coopérer ? et si un autre client se présente, conserva-t-il ses efforts sur le projet collaboratif ?

Ces questions se posent pour l’ensemble des coopérations, mais elles sont plus encore importantes dans le cadre d’une relation grand groupe – start-up, alors que cette dernière peut à la fois avoir des ressources limitées, tout en pouvant devenir très attractives pour d’autres entreprises (parfois des concurrents). En fonction des réponses, les incitations à coopérer peuvent se faire sous diverses formes depuis la rémunération directe des efforts du fournisseur jusqu’à la promesse de gains futurs, généralement sous conditions.

Elles peuvent aussi consister à laisser au fournisseur la possibilité de vendre l’innovation à d’autres clients, après une période d’exclusivité s’ils sont concurrents. C’est alors à ce moment que se pose la question de la propriété intellectuelle – seulement à ce moment – et alors il est plus simple d’y répondre. Alors, il s’agit de considérer que la propriété intellectuelle ne s’arrête pas à un brevet, mais également à tout l’arsenal qui vient avec – les licences, les royalties… les territoires géographiques et sectoriels concernés, les frais de maintenance et de défense….

Les grands paradoxes de l’Open Innovation

Je viens de publier dans le Journal des Sociétés, revue à destination des juristes, un article écrit avec Olivier Duverdier, dirigeant d‘Ecosys Group et président Open Innovation du Medef : « les grands paradoxes de l’Open Innovation – gérer l’ouverture et le partage dans les projets d’innovation collaboratifs« .

Cet article se trouve au sein des deux numéros spéciaux coordonnés par Pierre Breesé, président de Fidal Innovation. Il commence par présenter aux juristes le concept d’Open Innovation. Il leur montre ensuite 2 grands défis pour lesquels ils ont à accompagner les autres fonctions de l’entreprise dans le montage, et le suivi, de projets d’innovation collaboratifs :

  • la gestion de la confidentialité,
  • la définition du modèle économique,
  • le partage des résultats.

Un des points intéressants de cet article, au-delà des explications et perspectives que nous proposons, repose sur leur illustration à partir d’exemples européens et contemporains. L’Open Innovation est née aux USA – elle est réelle également en Europe, et en France.

En complément, il est également très intéressant de découvrir les autres articles de ces deux numéros spéciaux qui mêlent points des vues managériaux et académiques, venant de tous les horizons professionnels de l’Open Innovation française. S’ils sont à destination premières des juristes, ils pourront se révéler aussi utiles à ceux qui s’intéressent au développement d’une innovation collaborative performante.

– Pourquoi les entreprises sont obligées de se faire confiance quand elles nouent des partenariats d’innovation

Premier post sur ce qui est à l’origine de mes travaux de recherche : la place de la confiance dans les partenariats d’innovation, avec une base de réflexion issue de l’ouvrage de Marc Frechet « Prévenir les conflits dans les partenariats d’innovation ».

Dans tout projet d’innovation, il y a une part d’incertitude, d’autant plus grande que le degré d’innovation visée est élevé. Cette incertitude touche à la fois les résultats et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Et, quand ces projets sont menés à plusieurs dans le cadre de partenariat d’innovation, si les risques sont partagés, l’incertitude se retrouve souvent augmentée.

Au grand dam des juristes, ces types de projet ne peuvent alors jamais faire l’objet de contrats complets : « le contrat incomplet est celui dans lequel les parties pourraient ajouter des clauses supplémentaires mais sont retenues de le faire, à cause des coûts supplémentaires ou de l’invérifiabilité » (Hart, 1986 d’après Frechet, 2004).

Quand bien même la loi oblige les co-innovants à un engagement mutuel au-delà des termes du contrat de partenariat (article 1134 du code civil : les conventions ( …) doivent être exécutées de bonne foi ; et article 1135 du code civil : les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature), cela ne suffit pas toujours à rassurer les uns et les autres quant à la bonne exécution de ces obligations.

Et lorsqu’entre deux partenaires les différences sont marquées (en termes de taille tout particulièrement) et qu’ils sont dépendants les uns des autres, il y a un risque accru de manquement à ces obligations. Ainsi, la situation de dépendance a tendance à provoquer des comportements agressifs et opportunistes de la part du partenaire en situation de faiblesse (Provan et Skinner, 1989 ; Kumar et van Dissel, 1996 ). A l’opposé, le partenaire le plus puissant (souvent financièrement) a tendance à abuser de sa position dominante quand il s’agit d’influer sur les décisions concernant le partenariat (Lusch et Brown, 1996 ; Sulej, Stewart et Keogh 2001 ; Rothaermel et Deed 2004 ).

Aussi, quand il n’est possible de contrôler ni par le contrat ni par la loi ce que va faire (ou ne pas faire) le partenaire d’innovation,  et quand sa différence – qui fait son attrait – tend à rendre instable le partenariat, seule reste la confiance qui est mise en ce partenaire. Cette confiance, déjà vitale pour toute relation d’affaires (Morgan et Hunt 1994), l’est encore plus lorsqu’il s’agit de réussir un partenariat d’innovation et qu’il concerne un grand groupe et une PME…