Faire Mieux avec Moins – comment innover dans les Achats

Pourquoi les Achats doivent réinventer l’Innovation

Chaque année, lorsque nous interrogeons les acheteurs sur les principaux freins à l’innovation dans leur service, la réponse est unanime : le manque de temps. À la seconde place se trouve le manque de ressources (Observatoire Achats & Innovation de KEDGE Executive Education en 2020, 2021 et 2023). Or, dans un contexte où le « toujours plus avec moins » devient la norme, ces freins appellent à une réflexion stratégique. L’innovation n’est plus seulement un luxe, elle devient une nécessité pour relever ces défis.

« À défaut de pétrole, ayons des idées » : Adopter la Jugaad, l’Innovation Frugale

Face aux contraintes, l’innovation jugaad – un concept indien signifiant « débrouillardise dans des conditions hostiles » – peut offrir des solutions pratiques. Cette philosophie encourage à rechercher des solutions nouvelles avec des moyens réduits. C’est ainsi qu’est né l’incubateur de bébé Embrace, un dispositif de maintien au chaud conçu pour une fraction du prix des couveuses traditionnelles. L’entreprise Airbnb s’est également construite dans cet esprit : pour payer leur loyer, les fondateurs ont créé une plateforme permettant de louer un matelas gonflable chez eux aux voyageurs (et en plus ils ont vendus des céréales Obama en pleine période d’élections présidentielles américaines). En innovant de manière frugale, ils ont su transformer la contrainte en opportunité.

Pour les acheteurs, appliquer la jugaad signifie trouver des opportunités de faire plus avec ce que l’on a déjà. Cette approche résonne profondément avec le quotidien d’un service achats, souvent contraint par des budgets limités et des objectifs ambitieux.

L’Initiative, Clé de l’Innovation : Demander Pardon plutôt que Permission

Pour initier le changement, cessons de demander plus de temps, prenons-le. Innover sans forcément attendre de validation formelle peut ouvrir de nouvelles perspectives. Chaque rencontre, chaque échange peut devenir une opportunité pour capter des informations utiles et de nouvelles idées :

  • Un appel d’offres ? Pourquoi ne pas saisir l’occasion de discuter de vive voix avec vos clients internes de leurs besoins immédiats et futurs ?
  • Une réunion en ligne sans grande valeur ajoutée ? Profitez-en pour explorer sur l’intranet ou sur internet les dernières actualités stratégiques de votre entreprise.
  • Une soutenance d’appel d’offres ? C’est l’opportunité de découvrir d’autres produits dans le portefeuille de votre fournisseur.

Chaque moment peut se transformer en source d’inspiration, et multiplier les occasions de créer de la valeur.

Technologie et Astuces : Transformer les Contraintes en Opportunités

Les nouvelles technologies décuplent les possibilités d’innover aux Achats, même avec des ressources limitées :

  • Automatisation des tâches : Grâce aux outils d’intelligence artificielle générative, même sans connaissance technique, il est possible de réduire les tâches répétitives, améliorant ainsi la productivité et libérant du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée.
  • Optimisation du temps : En déconnectant des e-mails et notifications pour trois heures, on libère un espace de concentration inestimable. Cela réduit le stress, améliore la qualité du travail et augmente la satisfaction personnelle. Des applications dédiées sont disponibles pour encourager ce type de concentration.

Ces solutions « maison » permettent d’appliquer concrètement la jugaad dans le domaine des achats, répondant ainsi aux ambitions d’innovation déclarées par de nombreux directeurs achats.

L’Innovation aux Achats : Un État d’Esprit et une Pratique

L’innovation commence par un changement de posture. Elle est une attitude proactive qui invite à saisir chaque occasion, aussi petite soit-elle, pour transformer le quotidien en vecteur de nouveauté. Avec les moyens disponibles, chaque acheteur peut contribuer à mettre en pratique cette promesse d’innovation, même en environnement contraint.

Pour faire face aux enjeux de demain, la vraie innovation est souvent de savoir adapter les méthodes existantes aux nouvelles réalités. Les achats peuvent et doivent devenir un pilier d’innovation pour l’entreprise – il ne reste plus qu’à saisir cette opportunité.

une première version de cet article a été publiée dans la revue Décision Achats

Petite histoire des Achats au pays de l’innovation

La fonction Achats est née de l’innovation. Le premier livre qui lui a été consacré, en 1887, portait sur son importance pour le développement du chemin de fer : the handling of railway supplies. Mais, la fonction Achats est longtemps restée confinée aux tâches administratives. Sous le chapeau du titre « Approvisionnement », son rôle se bornait à jouer sur les prix, sans chercher à contribuer au développement de valeur nouvelle malgré sa théorique connaissance des marchés fournisseurs.

L’implication de la fonction Achats dans les projets d’innovation de son organisation, au-delà de la dimension « prix », a commencé à être signalée dans les années 1980, dans le secteur automobile. Elle est régulièrement confirmée tout au long des deux décennies qui suivent alors que se multiplient les études soulignant le lien entre performance des projets d’innovation et qualité d’implication des fournisseurs.

C’est dans ces décennies que le recentrage sur le cœur de métier des grandes entreprises et la libéralisation des marchés conduisent à un accroissement du transfert d’activités des grandes entreprises vers leurs fournisseurs. En 1991, Barreyre notait qu’en moyenne 55% du coût de revient d’un produit provenait de partenaires externes. En 2006, une enquête du SESSI/CDAF mesurait que celle-ci était de 75% dans les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, des télécommunications et de l’informatique, et de l’électronique.

Dans ces contextes très technologiques, ou la diversité et la complexité des produits font partie intégrante du jeu concurrentiel, les acheteurs deviennent des acteurs clés du développement de nouveaux produits. Progressivement apparaît une catégorie nouvelle d’acheteur dédié au projet de développement de nouveaux produits qui apporte sa maîtrise du couple coût /qualité ainsi que celui du délai de mise sur le marché.

Les années 1990 et l’acheteur-projet dans le développement de nouveaux produits

Christophe Midler dans sa description et son analyse du projet de développement de la Renault Twingo, produit innovant mais surtout démarche innovante de conception de la part de Renault, a ainsi mis en avant les nouvelles modalités d’implication des fournisseurs mises en place pour ce projet (p. 161‑182). Alors qu’en interne, il n’y avait pas de solutions envisageables pour répondre à l’équation économique ciblée, il a fallu s’appuyer sur les fournisseurs dans une démarche de design-to-cost. Cette démarche qui a permis de sortir le projet de l’ornière devait s’appuyer sur « des qualités de dialogues, d’adaptation et de réactivité ». Il s’agissait non pas de négocier avec les fournisseurs un prix sur la base d’un cahier des charges cibles, mais de négocier un cahier des charges sur la base d’un prix cible. Pour répondre aux multiples défis que cela pose, Midler évoque et documente la « révolution de la fonction achats » (p180). De « spécialiste de la négociation du contrat économique », l’acheteur a dû se faire régulateur et animateur d’un ordre économique nouveau où il doit renégocier dans un processus plein d’incertitude et d’évolution ».

Il souligne ainsi que l’acheteur dans ce type de projet est amené à développer des outils et méthodes nouvelles pour pouvoir non seulement évaluer l’aptitude de fabrication des potentiels fournisseurs mais aussi leurs aptitudes de conception. Ils doivent aussi apprendre à ajouter deux dimensions nouvelles lors des négociations : la propriété de l’innovation et le partage des risques. Il se trouve également à renforcer son rôle de pivot de la relation – et non plus de goulot d’étranglement – en allant chercher de manière proactive l’information, commerciale comme technique, et en la poussant ensuite aux multiples parties-prenantes.

Une étude pionnière en la matière est celle développée par Finn Wynstra dans  son travail de thèse où il étudie plusieurs cas d’implication des achats dans le développement de nouveaux produits et ce dans différents secteurs industriels, aux Pays Bas et en Suède. Cette base lui permet de proposer la  première caractérisation de l’acheteur impliqué sur des projets de développement de nouveaux produits. Ses travaux seront un socle pour la littérature sur l’implication précoce des achats dans le développement de nouveaux produits (EPI pour early purchasing involvment) en parallèle du développement de la littérature plus prolixe sur l’implication précoce des fournisseurs (ESI pour early supplier involvement).

En 2000, Calvi prophétise l’arrivée d’une nouvelle catégorie d’acheteur spécifiquement dédiée aux projets les plus exploratoires. Mais ses premières apparitions ne sont documentées qu’au mitan des années 2000. D’une part au sein d’un équipementier automobile français. D’autre part, à travers nos propres travaux car nous avons eu l’opportunité de travailler au sein d’un autre équipementier automobile français qui avait développé un dispositif similaire.

L’explosion de l’open innovation et l’émergence de l’acheteur-innovation

Au début des années 2010, avec le large développement de l’Open Innovation dans les grands groupes internationaux, la pratique s’est développée, en France comme en Europe, gagnant d’autres secteurs comme celui de l’industrie, de l’aéronautique ou  de la pharmacie. Au début des années 2020, un quart des grandes entreprises françaises ont au moins une personne dédiée à l’innovation dans les Directions des Achats. A travers sa position croissante dans l’innovation, la fonction Achats gagne petit à petit des lettres de noblesse dans la participation au développement de son organisation.


Un test rapide pour identifier si votre achat public est innovant

En quelques questions, il est possible de savoir si votre achat peut rentrer dans le dispositif défini par l’article R. 2122-9-1 du code de la commande publique – et peut ainsi déroger aux obligations de publication et de mise en concurrence – après un travail de qualification du besoin, du marché et du potentiel fournisseur bien documenté.

Si vous souhaitez réaliser un achat public innovant – après avoir vérifié qu’il était inférieur à 100.000 euros HT (ou dans le cas d’un lot d’un montant <80k€ HT pour des fournitures ou services innovants, ou <100k€ HT pour des travaux innovants, dans la limite de 20% du montant total du marché), vous devez vérifier qu'il rentre bien dans cette catégorie à l'aide d'un faisceau d'indices s'appuyant sur la qualification de l'innovation à acquérir.

En nous appuyant sur le guide pratique de l’achat public innovant, nous vous proposons d’évaluer le caractère innovant de votre achat.
Ceci est une version-test générique et doit être adaptée pour chaque Direction/contexte Achats

La solution permet-elle de répondre à un besoin de façon plus performante (en matière de coûts, qualité, délais, aspects environnementaux et/ou sociaux, etc.) ?

La solution existe-t-elle sur le marché ?

Faut-il adapter la solution existant à nos besoins ?

Quel serait l'impact de l'innovation visée ? (plusieurs réponses possibles)

Dans quelle mesure le futur fournisseur peut être considéré comme innovant ? (plusieurs réponses possibles)

Quelle valeur pour le Partenariat d’Innovation ? une méthode pour l’achat public européen

Afin de maximiser l’engagement des fournisseurs innovants dans des projets d’innovation avec des acteurs publics, la Commission Européenne a créé en 2014 le Partenariat d’Innovation. Ceui-ci permet, dans la même procédure, d’acheter à la fois le développement d’un nouveau produit/services et son acquisition en cas de succès.

Toutefois la mise en place des Partenariats d’Innovation demande de relever de nombreux défis pour l’acheteur public. Cela commence par la détermination de la valeur du partenariat. Celle-ci doit être fixée et négociée alors que le produit/service visé n’existe pas encore. Il s’agit également de respecter l’ensemble des contraintes liées à l’achat public – dont celles relatives aux aides d’Etat.

A la demande de la DG Grow, j’ai développé une approche qui permet de répondre à ces défis. Elle est publiée par la Commission Européenne sur la page dédiée à l’Achat d’Innovation.

Une méthode en 2 phases

Cette méthode consiste à identifier les différents éléments qui font la valeur de l’innovation partenariale, pour le fournisseur comme pour l’acheteur public.

Puis, il s’agit de proposer des modalités d’évaluation spécifiques pour chacun des éléments identifiés. Dans les phases de Recherche et Développement, puis dans les phases d’Achats du service/produit fini. Les évaluation s’appuient sur le principe de la quasi-décomposabilité et sur la combinaison des méthodes de pricing mobilisées dans l’achat public : contrat de performance, indices de prix, coût total de possession, analyse de la valeur….

Sur cette base, il est possible de proposer aux acheteurs publics toutes les clefs pour créer un cocktail de solutions qui répondent aux différentes possibilités offertes par les partenariats innovation.

Cette méthode permet ainsi de maximiser la valeur pour le bien public. Elle permet aussi de minimiser les risques d’une telle procédure mais aussi de favoriser la croissance des entreprises européennes innovantes.

Elle peut être également mobilisée pour l’achat privé – en s’inspirant de la démarche qui consiste à d’abord identifier les sources de valeur, puis en allant piocher dans les différentes solutions possibles celles qui s’appliquent le mieux à la situation ciblée. Elle est déjà enseignée dans le cadre de la formation continue MAI – management des achats internationaux de Kedge Business School.


La DG GROW de la Commission Européenne a pour mission de continuer la réalisation du marché intérieur pour les biens et services ; favoriser l’entreprenariat et la croissance ; soutenir l’accès des compagnies européennes aux marchés globaux ; générer des politiques de protection et d’application des droits de propriété industrielle ; coordonner la position de l’Union européenne et les négociations au sein du système international de propriété intellectuelle.

Pour innover, il faut la jouer collectif

Dans le sens commun, les grandes transformations comme les innovations apparaissent comme portées par un individu hors du commun : des hommes providentiels en politique comme Charles De Gaulle, Jeanne d’Arc ou Angela Merkel, des entrepreneurs schumpéteriens tels Elon Musk, Bill Gates, Steve Jobs, des inventeurs géniaux tels Marie Curie ou Léonard Da Vinci…

Dans la littérature managériale, la focalisation se fait plus sur les organisations, les outils et les processus qui permettent les transformations. Et la figure mythique de l’inventeur/entrepreneur/politique solitaire comme l’existence d’organisations ou d’outils miracles résistent difficilement à une lecture attentive des histoires d’innovation.

Comment innover ?

Pour innover, il faut en effet savoir non seulement créer, mais aussi mettre en œuvre. Et dans la création et la mise en œuvre, l’humain est à la source et à la manœuvre. L’innovation comme les grandes transformations sont avant tout affaires de collectif. Innover est un processus social qui requiert la concomitance de nombreux facteurs individuels, organisationnels et institutionnels. 

savoir innover n’est pas qu’affaire de compétences individuelles

Le collectif est au cœur de l’innovation et de la transformation. Et au-delà du savoir travailler ensemble, la diversité des individus composants un collectif innovant est centrale. Cette diversité trouve tout son sens en temps de crise où la notion de résilience devient centrale ; comme en écologie, où la biodiversité assure la résilience d’un écosystème devant faire face à des perturbations. Dans le monde de l’entreprise comme du politique, on retrouve pourtant régulièrement des phénomènes endogamiques : des entreprises où l’on retrouve des HEC, d’autres des ESSEC, des comités de directions trustés par les X, des ministères et cabinets ministériels où se rencontrent la même promotion de l’ENA…

Pourtant, la diversité des équipes facilite les apprentissages comme la confrontation des expériences pour créer puis mettre en œuvre les transformations nécessaires aux entreprises comme à la société. Cette diversité se traduit à travers trois exigences.

Les équipes formées doivent être complémentaires. La conception et la constitution d’une équipe ne se situent pas dans la métaphore du puzzle et de la pièce manquante, mais dans l’assemblage.  La complémentarité dans l’innovation renvoie au registre de l’aventure sans objet définitif – même si des objectifs peuvent être définis, il est nécessaire d’accepter qu’une partie des moyens, des idées, des apprentissages sont ignorées au départ. Ceux-ci naissent avant tout du croisement des sensibilités et des enrichissements mutuels de ceux qui sont engagés dans l’innovation et la transformation.

Cela implique que le management de l’innovation, mais aussi les transformations d’entreprises comme les réformes politiques, doivent être adaptatives pour profiter de la richesse de la diversité. En d’autres termes, il s’agit de légitimer l’individu a priori, en le confrontant à l’expérience et à l’altérité plutôt qu’à la feuille de route.

Cela entraîne alors un besoin de reconnaissance par chacun de son originalité, et donc de compréhension de ses propres compétences au regard de celles des autres. La complémentarité de ceux-ci avec soi-même vient complimenter ses qualités propres. A travers les épreuves endurées dans les parcours de transformations, chaque innovateur développe sa réflexivité et cette réflexivité se fait à travers les échanges avec les autres membres du collectif d’innovateurs formé.

Aussi pour favoriser l’innovation, dont les apprentissages tirés des échecs forcément rencontrés en entreprise comme en sciences et en politique, il convient de savoir reconnaître la richesse de l’originalité de chacun. Chacun doit se sentir capable de formuler une interrogation, d’avancer une idée, d’apporter des éléments d’information permettant d’affiner un projet et plus largement de le confronter à une stratégie d’ensemble. Cela permet d’avoir des retours d’expériences complets, car sans peur d’un jugement sur la singularité d’un point de vue, sur un projet d’innovation, réussi ou non.

Cela implique d’engager la subjectivité des individus au travail. Ce qui va à rebours des impératifs de rationalisation et d’objectivisation communs à la majorité des organisations. Il s’agit de favoriser l’expression de points de vue originaux sur tout ou partie d’un projet innovant, depuis sa conception jusqu’à son sens dans la société.

Des profils d’ingénieurs combinés à des commerciaux, des scientifiques et des self-made-man, des profils de ministres d’un bord combinés à des ministres venant du monde civil et de l’autre bord, sont des facteurs de réussite des transformations, quand chacun à droit au chapitre.

Enfin, il faut savoir relier ces compétences transversales aux compétences techniques et aux outils et organisations. En effet, les compétences transversales contribuent à l’apprentissage des compétences techniques, de la manipulation des outils et du déploiement des organisations. Les compétences transversales mobilisées dans un projet viennent instiller une pertinence “humaine” dans la conception comme la mise en œuvre de l’innovation. Elles permettent de mettre la technique à son service, en s’appuyant sur le « style » de chaque individu dans sa mobilisation des compétences techniques, des outils et dans son appréhension de l’organisation.

Cette approche implique d’adopter une attention forte à l’efficience du collectif, à la qualité de la transmission des informations et connaissances aux équipes, plutôt que privilégier une vision centrée sur la performance individuelle.

Ainsi, la diversité dans les équipes consiste à autoriser l’idée qu’il existe plusieurs manières de faire une même chose, de remplir une même mission. L’infaillibilité du chef d’équipe comme de gouvernement peut être convoquée pour répondre à une crise ponctuelle mais par pour conduire de grandes transformations.

Il est donc recommandé de favoriser l’intégration dans les collectifs constituer pour transformer les sociétés, et en amont des projets, une diversité de profils socioculturels, professionnels et/ou en termes de formation(s) antérieure(s) mais aussi d’absence de formation. 

Cet article a été retravaillé avec Brieuc du Roscoät et Sébastien Bauvet en une version publiée chez Forbes France « Réussir les transformations – de la fabrique des élites à la diversité du collectif« 

Former les acheteurs aux compétences de demain… et d’aujourd’hui

Pensée analytique et innovation, capacité d’apprentissage, résolution de problèmes complexes forment les top 3 des compétences les plus demandées pour 2025 d’après le Forum Economique Mondial (Future of Jobs Survey 2020), la première et la troisième étaient déjà dans les plus demandées en 2018 (Future of Jobs Survey 2018).

Elles font parties du portefeuille de compétences que nous développons en formation continue auprès de nos apprenants du MAI Executive Education. Elles résument bien ce qui est attendu de la fonction Achats pour faire face à un monde volatile, incertain, complexe et ambigu : savoir répondre aux besoins d’aujourd’hui et accompagner ceux de demain dans la gestion des ressources externes. La compétence apprendre à apprendre est intrinsèquement dans leur démarche : en formation continue, la première épreuve est de savoir se remettre en posture d’apprendre.

Pour les deux autres compétences-clefs, la problématique dans les apprentissages et l’accompagnement de nos apprenants est de savoir bien doser l’équilibre entre leur apprendre à savoir répondre aux besoins d’aujourd’hui – ce qui fera qu’ils trouveront un métier ; et les managers Achats qui sortent de nos formations ont un remarquable taux d’emploi de 99% 6 mois après la formation – et savoir accompagner les transformations dans leurs organisations et dans leur profession. C’est la seule condition pour être performant dès leur prise de poste et pour les années qui suivent, comme managers des achats, directeurs des achats ou même pour créer le poste de gestionnaire des ressources externes. Aussi, à travers nos formations nous mobilisons deux pédagogies différenciées et pourtant intimement mêlées : une pédagogie classique répondant aux enjeux économiques du moment, et une pédagogie innovante pour adresser les enjeux de demain.

Des managers Achats performants

Classiquement nous travaillons sur les fondamentaux du manager des Achats. A travers des apports théoriques, de multiples études de cas, des simulations sur des cas formatés et des échanges autour des expériences des enseignants et des apprenants qui sont tous en activité pendant la formation. Chaque compétence du manager Achat est abordée successivement, depuis la capacité à savoir embrasser la « Big Picture » jusqu’à la décomposition des coûts, en passant par la gestion des contrats avec les fournisseurs.

La multiplication des exercices permet ici de générer des automatismes mais aussi de leur donner un langage d’acheteur. Ils peuvent ainsi non seulement gagner en performance dans leurs organisations face aux problèmes du quotidien, mais aussi libérer du temps pour faire face à l’imprévu.

Des managers Achats transformants

Et pour faire face à cet imprévu, nous leur proposons d’autres dispositifs. Agir face à l’incertain, au complexe, au volatile et à l’ambiguë s’apprend par l’action, collectivement comme individuellement. Il s’agit ici de mettre nos apprenants face à des problèmes qu’ils n’ont jamais rencontrés. D’abord sur une composante temps – en travaillant sur un exercice nouveau et balisé, mais à gérer dans l’urgence. Puis, ils sont appelés à se projeter dans un futur qui n’existe pas et pour lequel il n’existe pas de solutions, mais qui s’appuient sur des ressources existantes, internes comme externes. Tout en navigant dans le flou, ils identifient les limites des outils vus ailleurs. Ils y apprennent à fabriquer leurs propres outils, leurs propres bases de réflexion, et d’action.

Toute innovation ou transformation ne se faisant jamais seul, toutes ses approches se font en équipe et en lien avec des professionnels externes et les professeurs et intervenants du MAI. La socialisation est au cœur de la formation. La cohésion développée dans chaque promotion se prolonge dans les liens avec les alumnis. Savoir faire appel aux autres et savoir leur répondre présent est une autre source d’agilité apportée à travers le MAI, pendant la formation et après.

Des managers Achats ambidextres

Enfin, ces apprentissages multiples, à la fois cerveau droit et cerveau gauche, ne seraient rien sans la capacité de chacun de savoir distinguer ce qui relève du complexe ou du compliqué, du risque ou de l’incertain, de l’urgent ou du nécessaire. C’est ce qui permet de choisir le mode d’action adéquate. Aussi, une démarche réflexive permet d’identifier ses apprentissages, de les fixer et de faire le tri parmi ceux-ci, mais également de prendre conscience du plaisir qu’ils ont pris à apprendre pendant cette année au MAI.

Dehors – dedans, la place du manager Open Innovation

Pour un manager Open Innovation, il n’est pas une semaine qui offre de multiples opportunités d’un événement externe de rencontre avec des start-ups et autres organisations innovantes, d’ateliers d’échanges de bonnes pratiques, de concours de pitchs, de salons, de visites d’incubateurs… Si le risque de développer un alcoolisme mondain est avéré, se pose pour leurs managers la question de l’impact de leur participation à de tels événements.

MGM/courtesy Everett collection

Et quand bien même l’Open Innovation est un concept à la mode, et stratégiquement nécessaire pour nombre d’entreprises, la légitimité de ceux qui la pratiquent reste questionnée par leurs collègues, qui peuvent ne voir chez eux que ce côté « Open Innovation cocktail ».

Quelques études récentes apportent quelques réponses aux managers des managers Open Innovation. La première a été publiée dans la Harvard Business Review en juillet 2017. Elle s’est intéressée aux employés d’IBM parmi les plus productifs en terme de propriété intellectuelle. Cette étude a montré combien, pour qu’une personne innove, il fallait d’abord s’intéresser aux autres, et pas forcément uniquement à ceux de l’extérieur de son organisation. Elle montre d’abord que la principale source d’inspiration de ces innovateurs repose sur les idées de leurs collègues en interne plutôt que de leurs contacts en externe. Ensuite, elle montre que pour que ceux qui s’appuient le plus sur l’externe soient des innovateurs performants, il leur faut passer la moitié de leur temps à échanger avec l’interne. Aussi, un grand réseau externe ne suffit pas, il faut savoir le compléter par un réseau interne.

Ce travail vient renforcer les résultats de mes travaux et ceux de Felipe Monteiro sur les Managers Open Innovation. Nous montrons tout deux, avec des approches théoriques et des terrains différents, comment les Open Innovation managers (scouts dans son cas, Achats-Innovation dans le mien) favorisent l’absorption de l’Open Innovation captée par des échanges en tête à tête avec ceux qui en interne porteront les projets – et non pas à travers des outils informatiques qui sont des outils de productivité pour les tâches administratives.

En ligne avec les travaux de sociologie de l’innovation, le caractère social du processus d’innovation est aussi démontré dans l’Open Innovation : c’est avant tout une histoire d’hommes, à la fois en interne et à l’externe. Et si l’Open Innovation manager a pour rôle de capter l’innovation à l’externe, il a aussi pour rôle de faire en sorte que l’interne s’en empare.

La difficulté réside alors dans l’allocation de son temps. Et là l’étude HBR montre que de nombreuses personnes peuvent mal répartir leur temps en essayant d’étendre leurs réseaux externes sans consacrer le temps supplémentaire nécessaire pour vraiment apprendre comment ils peuvent tirer profit des idées qu’ils trouvent. Il faut donc répartir leur temps entre le réseautage en externe, le réseautage en interne, et prendre le temps également de réfléchir sur le moyen de mieux viser et diffuser l’innovation et les innovateurs, internes comme externes.

Ce besoin de temps se trouve traduit sous un autre angle, celui de l’autonomie, dans une autre étude très récente réalisée auprès de PME danoises. Celle-ci a montré qu’il n’était pas suffisant d’encourager les Open Innovation managers à s’engager avec des organisations externes mais qu’il fallait aussi leur garantir une autonomie certaine dans la définition et la réalisation de leurs tâches. L’impact de cette autonomie apparaît très clairement positif à la fois sur la capacité de leur entreprise à générer des produits innovants mais également à les vendre. Par ailleurs, cette étude montre également qu’il ne doit pas être question de trouver un juste milieu entre contrôle et autonomie pour obtenir des résultats, mais qu’il faut clairement choisir l’autonomie.

Alors, pour les managers des managers Open Innovation cela se traduit  par un accompagnement de ceux-ci afin de les aider à travailler sur leurs propres idées, par un octroi de temps suffisant pour faire preuve de créativité et par la possibilité d’amorcer des activités intrapreneuriales avec des acteurs internes de l’innovation.

Leur laisser du temps libre cela doit se traduire par leur laisser le temps de découvrir et d’intégrer la stratégie de leur entreprise, de développer leur réseau en interne ; à la fois pour capter les besoins, explicites et latents, puis pour établir des connections entre ceux-ci et les savoirs externes, et en parallèle pour développer des opportunités nouvelles issues des rencontres entre l’externe, l’interne et l’imagination du manager Open Innovation.

Le papillonnage des Open Innovation managers est donc nécessaire, même s’il doit rester orienté vers la création de valeur pour son organisation. Pour le manager encadrant, cela nécessite donc à la fois d’accepter d’octroyer une grande liberté à son Open Innovation manager mais aussi de véritablement l’accompagner et de l’aider à se repérer dans la jungle des opportunités de réseauter.

Chasser la start-up – un travail d’équipe

Les start-ups sont dans les écosystèmes des grands groupes une source importante de renouvellement, à la fois par les nouvelles technologies et manières de faire qu’elles expérimentent et par l’inspiration qu’elles génèrent pour les entreprises plus anciennes et établies. Les événements, annuaires et réseaux sociaux qui permettent de les croiser se multiplient, et dans les organisations les fonctions qui s’en occupent également, à commencer par les directions générales.

Afin que les premières rencontrent ne se bornent pas à un coup de communication ou au plaisir d’échanger des idées nouvelles et rafraîchissantes, il importe pour celui qui s’apprête à rencontrer une start-up de conserver à l’esprit que cette rencontre peut répondre à un besoin existant en interne mais également peut permettre d’imaginer de nouvelles solutions pour des besoins latents comme des opportunités de différentiation non encore identifiées. Ensuite, comme en innovation où un projet sur cent aboutit à un résultat concrets, il faut rencontrer beaucoup de start-ups pour espérer voir naître un projet de collaboration – de 2 à 10% de ces rencontres aboutissent.

Les annuaires de start-ups comme les appels à projets ciblés (via du crowdsourcing ou bien des concours lancés dans des écosystèmes spécialisés) sont particulièrement utiles lorsque le besoin est relativement identifié : un cahier des charges fonctionnels existe. Un passage en revue des différentes start-ups pouvant répondre est alors adéquate. La difficulté repose alors d’une part sur l’identification des différentes sources à contacter, d’autre part sur le fait qu’il faille en contacter beaucoup plus que pour un appel d’offre classique où les fournisseurs ont des capacités mieux identifiables et vérifiables. Des intermédiaires d’innovation – plateformes internet comme individus introduits dans les différents écosystèmes innovants – peuvent à ce moment révélés efficients pour cette identification et ce premier tri. Leur rôle consistera alors à accompagner le demandeur dans la reformulation de ses besoins et la rédaction de son cahier des charges (ce qui est le signe qu’il connaît son métier).

Enfin, du fait de la capacité des start-ups à pitcher, donc du fait du potentiel de séduction de leur technologie/business model et donc des difficultés à évaluer leur capacité véritable, la recherche de start-ups est plus encore enrichissante lorsqu’elle implique des fonctions variées. En allant chasser ensemble la start-up, elles apprennent à connaître leurs besoins et état d’esprit respectifs tout en pouvant évaluer plus efficacement les start-ups croisées ; leur organisation y gagne en efficience immédiate pour leur innovation collaborative mais également en potentiel d’innovation via l’interne grâce à cet échange de vue inter-fonctions.

Partager le gâteau de l’Open Innovation


Dans un projet d’Open Innovation, au moment de définir les règles de partage du gâteau de l’innovation collaborative, le point d’achoppement le plus courant est celui de la propriété intellectuelle. Un grand nombre de potentielles collaborations ne démarre pas pour ne pas avoir su répondre à cette question de la propriété intellectuelle. Souvent d’ailleurs pour avoir été traitée sous un angle purement juridique.

La plupart des travaux de recherche en gestion comme les rapports de consultants s’intéressent à cette répartition mais ils s’arrêtent au partage de la propriété industrielle, des brevets et droits afférents. Aussi, ils sont rarement opérant au jour de négocier un contrat de co-innovation.

En abordant la question du partage du gâteau sous un angle « Achats », il est possible de trouver des solutions. L’angle « Achats » peut être résumé à une orientation vers la partie « business » de l’Open Innovation. Il permet d’opérer un glissement depuis une réflexion centrée sur l’innovation en soit vers une réflexion orienté vers la création puis le partage de la valeur générée en commun, plutôt qu’uniquement de la propriété intellectuelle. Les Achats permettent d’aller au-delà des bornes du projet d’innovation.

Il ne s’agit alors pas uniquement de partager les résultats obtenus ensemble mais aussi de rémunérer les efforts du fournisseur, de s’assurer sa coopération, voire le responsabiliser sur la mise en œuvre de l’innovation, tout en limitant les dépenses du client. Dans un premier temps, l’acheteur va regarder comment il s’assure de la bonne coopération du fournisseur : est-il en capacité de coopérer ? veut-il coopérer ? et si un autre client se présente, conserva-t-il ses efforts sur le projet collaboratif ?

Ces questions se posent pour l’ensemble des coopérations, mais elles sont plus encore importantes dans le cadre d’une relation grand groupe – start-up, alors que cette dernière peut à la fois avoir des ressources limitées, tout en pouvant devenir très attractives pour d’autres entreprises (parfois des concurrents). En fonction des réponses, les incitations à coopérer peuvent se faire sous diverses formes depuis la rémunération directe des efforts du fournisseur jusqu’à la promesse de gains futurs, généralement sous conditions.

Elles peuvent aussi consister à laisser au fournisseur la possibilité de vendre l’innovation à d’autres clients, après une période d’exclusivité s’ils sont concurrents. C’est alors à ce moment que se pose la question de la propriété intellectuelle – seulement à ce moment – et alors il est plus simple d’y répondre. Alors, il s’agit de considérer que la propriété intellectuelle ne s’arrête pas à un brevet, mais également à tout l’arsenal qui vient avec – les licences, les royalties… les territoires géographiques et sectoriels concernés, les frais de maintenance et de défense….

Les Achats peuvent être la clef pour des partenariats réussis avec les start-ups

Les Acheteurs se trouvent de plus en plus confrontés à la nécessité d’aller au-delà des classiques, à aller chercher des nouvelles opportunités au-delà de leur panel, de leurs marchés familiers. Cela veut parfois dire qu’il leur faut se tourner vers des start-ups! Celles-ci ne sont pas seulement présentes dans la presse et auprès des directions générales. Elles prennent une part croissante dans l’évolution des grandes (et des moins grandes) entreprises.

Dans des collaborations qui restent compliquées entre start-ups et grands groupes, les acheteurs peuvent apporter une contribution positive, pour les uns comme pour les
autres. Cette contribution peut/devrait pouvoir se faire à toutes les étapes de la collaboration.

Dans ce rapport de l’Observatoire de la Création de Valeur de l’EIPM, Hervé Legenvre et moi-même nous appuyons sur nos travaux et sur un atelier de travail menés avec une cinquantaine de managers et directeurs Achats pour proposer des voies pour que les Achats facilitent le succès des coopérations start-ups – grands groupes.

Il peut être téléchargé ici : Partnering with Start-ups.

 

L’alignement des astres pour réussir l’Open Innovation – 5 dimensions à considérer

Pour lancer un projet d’innovation collaborative, 5 dimensions doivent être considérées. Trois premières dimensions ont été identifiées dans des travaux portant sur l’implication des fournisseurs dans le projet d’innovation. Il s’agit des alignements technologiques, stratégiques et relationnels entre le client et le fournisseur. Nous les décrivons dans ce post-ci. Un autre alignement qu’il faut ajouter est celui, très classique, qui se fait autour du respect de la qualité, des coûts et des délais attendus.

Ces dimensions sont transposables à tout projet d’Open Innovation à des degrés divers, même s’il ne faut oublier d’en ajouter un cinquième qui est un alignement des astres spécifique à la dynamique de l’innovation et des ressources des organisations.

(image STELLARIUM/FRANCETV INFO 2016)

(image STELLARIUM/FRANCETV INFO 2016)

En fonction de la phase de maturité de l’innovation, les différents alignements jouent diversement :

  • En amont de l’innovation – et plus particulièrement encore en phase exploratoire – quand les niveaux de connaissances sont d’autant plus bas que l’objectif n’est pas figé, ce sera l’alignement relationnel qui primera. Les expériences précédentes et les rapports de force (l’importance des interdépendances) permettent de savoir si l’on peut s’engager ou non sur des chemins non balisés. Puis c’est l’alignement des stratégies qui rentre en ligne de compte ; l’alignement technologique est d’une importance relative moindre.
  • Dans les phases de proches de la mise en production / du lancement de l’innovation, ce sont les alignements technologiques qui priment. Dans ces phases, l’alignement technologique correspond à la capacité de répondre aux besoins de l’autre, à en être complémentaire. L’important est alors de respecter l’alignement sur les critères classiques « qualité-coût-délai ». Les autres alignements sont au service de cette orientation « marché » : la vraie vie se rapproche.
  • Dans les phases intermédiaires, quand les objectifs sont plus précis qu’en amont, mais restent toutefois globaux et fonctionnels, l’alignement stratégique revêt autant d’importance que l’alignement technologique. Ce qui compte alors est la prise en considération de la compétence potentielle et globale des entreprises qui coopèrent, et de leur entente sur ses objectifs.

Cela implique que dans les phases amont, une entreprise techniquement faible peut trouver sa place si elle réussit par compenser par ses capacités de coopérations. La difficulté réside alors à être capable de gérer durant les phases intermédiaires, la construction de la capacité technique du partenaire le plus faible sur ce point – sans pour autant perdre l’alignement relationnel. En aval, ou sur des sous-projets d’innovation (la division d’une étape en un projet qui est défini/borné précisément – dans le cadre d’un contrat d’ingénierie par exemple), ce sera l’entreprise qui pourra répondre au mieux à un cahier des charges comportant des spécifications précises qui l’emportera.

Dans le cas de l’implication de start-ups/de PME dans les projets d’Open Innovation avec des grands groupes, la réussite du projet implique qu’il faille passer en phase de production. Il s’agit donc de passer du travail dans une chambre de bonne à une présence sur tous les continents, gérer de front développement de lignes de production, internationalisation, recrutement massif, approvisionnement massif… et gestion de la trésorerie!

Il s’agit là de l’exemple extrême du cinquième alignement ponctuel mais crucial dans l’Open Innovation (réussie) : l’alignement des astres pour la réussite du ramp-up / scale-up. Malheureusement celui-ci reçoit encore peu d’attention tant que l’obstacle n’est pas là, ni par les praticiens ni par les académiques. Et pourtant c’est peut-être plus important encore que les questions de propriété intellectuelle. Il s’agit de savoir comment transformer l’innovation en réussite « industrielle ».

Paru dans Le Monde : Incubateurs de start-ups dans les grands groupes : attention à l’effet de mode

Je viens de publierLeMonde dans Le Monde daté du 20 janvier 2014, une tribune signée avec Olivier Duverdier, Directeur général d’Ecosys Group, Président du Comité « Open Innovation » du Medef. Je la reproduis ci-dessous le texte envoyé originellement au journal du soir :

Alors que le modèle de gestion par le contrôle à outrance trouve ses limites dans les grands groupes français, ceux-ci explorent désormais de nouveaux outils de coopération, en interne et avec leurs écosystèmes. Parmi ces outils, les incubateurs internes de start-ups sont de ceux qui sont aujourd’hui les plus à la mode (NB.: demain ce seront les fablabs). Surfant sur la vague de l’Open Innovation, l’incubation de start-up devient une figure imposée des grands groupes dits innovants. Il est à parier qu’il n’y aura bientôt plus un seul rapport annuel qui ne mentionne leur existence.

Si les grands groupes s’intéressent aux start-up, c’est pour trouver de nouvelles sources d’innovation. Ils veulent y puiser l’agilité et la souplesse de la jeunesse qu’ils n’ont plus ; tout particulièrement en France où l’âge moyen des entreprises du CAC 40 est supérieur à quatre-vingts ans (en prenant en compte la date de naissance des groupes actuels, GDF Suez ayant ainsi 6 ans). Les start-up, pleines d’idées, vont chercher auprès des grands groupes le pétrole qu’elles n’ont pas encore et surtout leur première référence, celle qui leur donnera accès à leurs futurs marchés. La complémentarité des start-ups et des grands groupes n’est plus à démontrer. Elle est un vecteur de compétitivité lorsque la coopération est là.

Les incubateurs de start-ups ont pour fonction de leur faciliter la vie dans leurs premiers mois d’existence. Ce sont des structures publiques ou privés qui mettent à la disposition de start-ups sélectionnées des moyens qui leur permettent de se focaliser sur leur développement encore fragile et sur la découverte de leur modèle économique. Ces moyens sont tout d’abord des locaux, des accès internet, des formations… Ils peuvent aussi se compléter par un accompagnement des créateurs dans leurs réflexions mais aussi dans leur Recherche et Développement et dans leur démarche commerciale…

Pourtant, d’après l’observatoire des pratiques de l’Open Innovation publié fin novembre par le MEDEF, si ces pratiques se font d’abord avec des start-ups, pour plus de 50% elles le sont à des fins de veille ou de génération d’idées. Ces objectifs sont considérés comme plus importants que ceux relatifs au développement de nouvelles affaires. Aussi, en extrapolant ces résultats au cas des incubateurs, on peut craindre que les incubateurs de start-ups dans les grands groupes ne soient que des pots de miels servant à attirer les présentations des dernières nouveautés ; la procédure de sélection permet de gagner un accès « illimité » aux bonnes idées des start-ups et de pouvoir repérer sans filtre les grandes tendances dans son secteur au sens élargi.

Le blogger Olivier Ezratty a souligné dans une série d’articles sur l’Open Innovation combien ces incubateurs pouvaient néanmoins contribuer au développement des start-ups quand ils faisaient intervenir des mentors issus du monde des start-ups et des mentors issus du grand groupe d’accueil. C’est une pratique encore rare. Trop souvent l’implication des personnels du grand groupe se cantonne aux comités de sélection. Elle est cependant le meilleur moyen de réduire les différences culturelles entre start-ups et grands groupes, condition nécessaire pour créer un écosystème d’affaires, et non de veille.

Les incubateurs sont l’opportunité de développer les rencontres entre les dirigeants et les opérationnels des grands groupes et des start-ups, en situation de travail et non de représentation. Ils peuvent contribuer au nécessaire changement de culture des grands groupes par la pratique. Cette pratique quotidienne doit permettre à chacun de comprendre les enjeux et les objectifs de chacun, de développer un climat de confiance et des relations d’affaires. Le développement de la coopération ne peut pas venir d’injonctions à coopérer mais de son usage. Les incubateurs en grand groupe peuvent devenir ces lieux… si et seulement si les dirigeants le veulent et qu’ils y impliquent leurs équipes.
Pour aller plus loin sur le sujet (même s’il s’agit alors moins de start-up mais plutôt d’innovation de rupture), je recommande également la lecture du post de Philippe Méda : « 10 raisons pour lesquelles votre incubateur interne v échouer en moins de 2 ans« .

Fondations, démarches et grandes pratiques de l’Open Innovation

Je viens de publier à l’Institut de l’Open Innovation un rapport destiné à présenter aux managers les fondations académiques de l’Open Innovation ainsi que les démarches et grandes pratiques étudiées par les chercheurs en management stratégique.
Vous pouvez le trouver sur le site de l’Institut de l’Open Innovation.

Ce rapport s’appuie sur une revue de travaux récents portant sur l’Open Innovation (articles scientifiques, livres publiés et articles de conférences jusqu’au printemps 2014). Il commence par présenter les trois grands piliers de la littérature académique sur le sujet et ce qu’ils apportent de nouveau. Ces piliers sont le livre fondateur d’Henri Chesbrough et sa représentation de ce qu’est l’Open Innovation, la notion de capacité d’absorption d’une entreprise et la notion de lead-user.

Puis, sont présentés les résultats de l’étude des entreprises qui se sont engagées dans des démarches d’ouverture de leur innovation et la majeure difficulté rencontrée par celles-ci : la barrière culturelle à franchir. Enfin, ce rapport balaie les grandes familles de pratiques rencontrées dans l’Open Innovation en action : la recherche de savoirs externes, leur intégration en interne puis leur commercialisation.

La fidélité est-elle si utile dans l’innovation collaborative ?

« Au bout de 15 ans le charme se dissipe, tu me connais trop » Hippolyte Pécheral

Une entreprise préfère généralement développer ses projets de R&D avec les partenaires avec lesquels elle a déjà de bonnes relations plutôt que d’essayer de nouveaux partenaires même si cela inclue le risque de perdre des opportunités d’accéder à de nouvelles idées de technologies ou de marchés. Travailler avec ses anciens (bons) partenaires permet de capitaliser sur la rente relationnelle qui entraîne une diminution des coûts de coordination et des risques de trahison. Cela permet aussi d’être sûr de la compatibilité entre les savoir-faire et les savoir-être de son entreprise et de son personnel avec ceux de l’autre entreprise.

En effet, lorsque deux bases de savoirs (les connaissances relatives aux technologies et aux marchés ciblés, et les expériences dans l’Open Innovation) ne sont pas complémentaires, la « greffe » du projet collaboratif de R&D ne peut pas prendre. Cette complémentarité est un déterminant important de la réussite future du projet et nécessite un savant dosage :

  • la proximité des bases de savoir facilite l’intégration des idées entre domaines éloignés, du fait de langages partagés, de normes et configuration cognitives communes, trop de complémentarité,
  • un trop grand recouvrement ne permettait pas un apport suffisant d’une entreprise à l’autre.

Aussi, quand les contributions trop distantes sont difficiles à aligner avec les pratiques existantes et si les bases de savoir sont trop similaires, il est difficile d’aboutir à une combinaison nouvelle. Il en est ainsi d’une culture trop proche ou d’un même type d’orientation client qui peut limiter les possibilités de « penser hors du cadre » et de créer de nouvelles combinaisons entre les savoirs des organisations collaborant. Cela conduit à terme à un rendement décroissant de la performance de l’innovation collaborative entre deux organisations qui coopèrent longtemps. Ainsi, dans les projets d’innovation entre clients et fournisseurs, l’innovation incrémentale est bien plus importante que l’innovation radicale… mais peut être plus assurée de succès aussi ?