L’étude annuelle de Deloitte auprès des directeurs achats reste un must en matière de baromètre de la fonction achats et de son évolution. En s’intéressant à un étage constant de la population achats et en lui offrant l’anonymat de ses citations, elle propose une qualité de données couplées à des analyses qui permettent de s’étalonner au-delà des effets de mode. Par exemple, quand elle présente l’intérêt croissant des achats pour la digitalisation, elle ne manque pas d’identifier l’importance des freins que sont la qualité des données ou le manque d’implication des parties-prenantes « seniors ».
Le cru de 2021 nous propose un regard sur les achats post-covid dans un contexte encore marqué par les impacts positifs ou négatifs de la crise. Certains ont connu une explosion de la demande (la vente en ligne), d’autres un déclin fort (les voyages), d’autres encore des évolutions de consommation (agroalimentaire frais). Si la maîtrise et la réduction des coûts reste cette année encore le maître-mot des achats, l’inscription de la fonction dans un monde volatile et complexe vient accroître sa zone d’influence.
Cela passe d’abord par une gestion accrue des risques fournisseurs et d’approvisionnements – avec une plus grande étendue des thématiques « risquées » : rupture d’approvisionnement, qualité, cybersécurité, corruption, image de marque… Ensuite, la digitalisation continue de croître, aux achats mais aussi chez les fournisseurs. Ce qui offre aux premiers la possibilité de pouvoir (enfin) délivrer une valeur nouvelle à leurs organisations. La transformation digitale est ainsi une priorité qui a significativement cru par rapport à une ère pré-covid : 20% vs. 2019. Cela a été également le cas pour la participation à la politique RSE de l’organisation : 22%.
Par ailleurs, l’étude souligne que cette importance accrue de la place des achats dans les différentes facettes de leurs organisations conduit à un accroissement du nombre de priorité et à l’accroissement de l’importance de ces priorités. Si elle ne s’interroge alors pas sur la faisabilité opérationnelle de la multiplication des priorités prioritaires, elle offre une mise en application des priorités à travers l’étude des indicateurs de performance utilisés par les directeurs achats, et leurs performances selon que leurs directions sont performantes ou non.
On découvre ainsi, sans surprise, que les premiers indicateurs de performance suivis sont la réduction des coûts, l’amélioration de la trésorerie, les risques, la satisfaction des clients internes et l’efficience des achats (la réduction du nombre d’acheteur). La RSE, l’innovation ou l’accélération de la mise sur le marché sont en queue de classement avec une absence de suivi qui va de 15% pour les meilleurs à près de 60% pour les moins performants de l’échantillon.
L’étude note ensuite que tout en continuant de délivrer des résultats financiers mesurables, les directeurs achats ont plus pris part au développement de leurs organisations : participation aux actions d’acquisitions ou de désinvestissement, planification budgétaire, outsourcing/offshoring… Pour autant il reste encore du travail pour être reconnu comme partie-prenante incontournable de l’innovation : 37% des achats étant rarement impliqué dans la stratégie digitale de leur organisation et 39% dans l’innovation.
Les consultants alertent également les directeurs/directrices achats sur leur manque d’attention prêté à l’ensemble des risques qu’ils devraient suivre, bien que le suivi des risques soit leur 6e priorité et qu’ils perçoivent à 70% que les risques ont augmenté. La crise Covid est venu focaliser la gestion des risques sur la continuité de la chaîne d’approvisionnement alors que leurs fournisseurs et leurs approvisionnements ont été majoritairement impactés : ruptures, faillites de fournisseurs, expéditions en urgence, problèmes de qualité… Ils sont ainsi amenés à suivre prioritairement ces risques et ceux liés à la performance économique des achats.
Et s’ils soulignent ensuite les risques liés à la complexité interne de leurs organisations et à la « fragmentation digitale », ceux qui vont au-delà de la gestion des fournisseurs de rang 1, qui portent sur la géopolitique et l’amont de la chaîne d’approvisionnement, ou même les risques liés à la RSE ne sont pas assez évalués et suivis. Cette faiblesse d’attention est en soit un risque pour la résilience future des chaînes d’approvisionnement dans lesquelles ils s’inscrivent.
Le cercle vertueux des achats…
Cette année un focus a été réalisé sur l’agilité des directeurs/directrices achats – l’agilité revenant ici à être en capacité de rapidement répondre aux évolutions et crises internes comme externes, et à transformer la fonction achats vers plus de valeurs tirées des ressources externes. Ce focus permet d’identifier les faits que les directeurs/directrices achats les plus agiles se révèlent meilleur(e)s encore dans leur capacité à influencer qualitativement leurs parties-prenantes internes que dans leur capacité à augmenter leur taux de couverture. Ils/elles sont les plus à même de mettre en place des projets de transformation digitale interne mais aussi de faire plus et mieux levier sur les ressources externes. L’étude confirme ainsi le cercle vertueux des achats : plus une direction achats est impliquée dans le développement de son entreprise – au-delà même des crises – plus elle délivre de valeur, et plus elle impliquée.
La recette de l’agilité des achats tiendrait dans la capacité à organiser des équipes multifonctionnelles, internes et externes, et à flexibiliser les ressources mobilisables, internes comme externes. Ce qui revient non seulement à mettre en place des outils et des processus qui le permette mais aussi à staffer les équipes achats. Se pose alors prioritairement la question de la gestion des talents – leur recrutement, leur formation, leur fidélisation, leur organisation… Cette gestion des talents recouvrent ici à la fois l’interne et l’externe. Les directions achats les plus agiles sont ainsi celles qui savent utiliser des talents externes spécialisés (sur du catégorie management, de la veille, de l’innovation, de la digitalisation…) et non pas ceux qui font appel à des « hommes-ressources ».
Les difficultés à gérer efficacement la flexibilité retrouvent ici les difficultés à gérer efficacement la digitalisation des achats : la transmission d’information, comme la propreté des données, s’avère difficile, l’intégration humaine comme digitale est aléatoire, et il est difficile d’élaborer un modèle qui s’inscrive dans la durée à la fois du fait des difficultés de l’organisation interne à s’adapter (nouvelle gestion de relations client-fournisseur plus complexes, réticences à s’appuyer sur l’externe…) mais aussi des fournisseurs à suivre les transformations nécessaires.
Soft et hard skills
Quant aux compétences internes qui sont demandées, il s’agit d’abord de compétences techniques : sourcing stratégique et category management (55%) et analyses de données (49%). Les compétences relationnelles et cognitives arrivent ensuite : sourcing/négociation (42%), gestion des partenaires (40%) et leadership (37%). Celles qui ont le plus besoin d’être travaillées sont aujourd’hui les compétences relatives à l’usage de données qui apparaissent comme les plus manquantes : être en capacité de les analyser, de les restituer et de convaincre sur cette base !
Ces compétences d’analyse et de restitution de données manquent dans les équipes achats mais aussi pour près de la moitié des directeurs/directrices achats interrogés. Quand elles sont présentes, elles s’accompagnent alors de dispositifs digitaux qui reflètent l’agilité des directeurs achats : outils d’analyse et de visualisation de données, robotisation des tâches (RPA) et pour les plus avancés logiciels d’analyse prédictive et d’intelligences artificiels pour extraire et/ou analyser les données. Ce qui leur permet déjà d’améliorer l’efficience (65%) et l’efficacité (50%) des processus mais aussi d’accroître leur agilité. Devant ce constat, nombre des directeurs/directrices achats sont prêts à investir, s’ils avaient un budget supplémentaire à investir !
En conclusion, la crise COVID a été un révélateur du potentiel des directions achats. Elle leur a permis de voir qu’il leur était parfois possible d’aller au-delà des barrières des processus, des indicateurs, voire même de l’état d’esprit des achats « à l’ancienne ». L’étude de Deloitte a révélé que l’agilité n’était pas un vain mot mais une vraie capacité stratégique des achats pour se transformer et transformer leur entreprise.
L’agilité des achats est une capacité qui est en train de se développer à travers un accroissement des investissements dans la formation des acheteurs (jusqu’à 2,4% du budget des achats pour les directions les plus performantes). Les formations alors privilégiées s’appuient sur des dispositifs qui reflètent cette agilité. Sont privilégiés les dispositifs qui combinent modèles standards, pour favoriser un déploiement à large échelle, et personnalisation sur les métiers, les contextes et les personnes à travers des combinaisons de formations et de coaching individuels par exemple.
C’est à ce prix, que les achats sont en passe de devenir un vrai partenaire stratégique : ses compétences, historique et nouvelles, lui permettent d’apporter des réponses à l’accroissement conjoint de la complexité des écosystèmes, des risques et de la demande pour de l’innovation.
Article publié par Décisions Achats
https://www.decision-achats.fr/Thematique/strategie-achats-1236/performance-2266/Breves/crise-Covid-ete-revelateur-potentiel-directions-achats-362617.htm